Il est pas méchant

Chaque fois, on se sent ridicule.

— Ne vous en faites pas, il est pas méchant !

Et c’est toujours très méprisant. Percé à jour, on doit bien convenir que l’on a peur. Vraiment, cela se voit autant que ça ? On croyait donner le change avec un « couché couché » faussement débonnaire. Mais les chiens, vous savez, ils le sentent. Autrement dit, pas moyen de tricher, et votre babillage dérisoire n’est que niaise simulation. Votre peur transpire, et l’aimable toutou vous terrorise à juste titre : la terreur vient de vous.

À votre insu, vous répandez sans doute une odeur, quelle horreur, un signe d’infamie, peut-être trop discret pour les humains, mais que les chiens…

— Allez, couché !

Comme on le hait, cet aplomb du propriétaire ! Comme on l’envie, cette tranquille autorité. Le pire, toutefois, c’est quand elle est transgressée, quand le molosse continue à gronder à vos pieds, en feignant de ne pas vous regarder. On gagne alors le droit d’entendre un :

— Je comprends pas. Il ne fait jamais ça !

Vous voilà rejeté dans la catégorie des anormaux, des vaguement pervers. Si le chien vous en veut autant, c’est qu’il doit bien y avoir en vous une tare secrète, une hostilité latente.

Plus tout à fait latente, pour le coup Davantage qu’à l’obstiné canidé, elle se voue au maître. Car il le fait exprès, bien sûr. Cette façon de laisser son médor en liberté juste ce qu’il faut pour agresser autrui en toute bonne foi – excusez-moi, je ne vous avais pas vu arriver –, toute cette stratégie matoise qui possède un seul but vous diminuer, vous rabaisser au rôle de vaincu contraint d’implorer la clémence, c’est tout un art. L’écologie apparente du possesseur qui laisse un peu vagabonder sa bête n’est là que pour masquer un sadisme goguenard, si confortable. Et ça, vous le sentez, car après tout les chiens n’ont pas l’apanage complet de la médiumnité. Attention. Maître pervers.